F/7. Le défi de Jehanne
Même pas vrai qu'Aldon Juan ne s'occupait pas des gosses. Bon, fallait que Marilène l'y pousse, mais tant que c'était pendant les heures creuses, il ne se faisait pas trop prier. Il affichait cependant une préférence honteuse pour Rémy. Y avait qu'à pas lui avoir collé de force dans les bras au moment de l'anniversaire. Il l'éduquait, à sa façon.
- Viens par ici, petit bonhomme, viens voir papa. Ah, tu seras un terrible, toi, je le sens. T'en briseras des coeurs quand tu seras grand.
Il avait même poussé le zèle jusqu'à lui enseigner le pot. Remarquez, c'est pas pour diminuer ses mérites, mais c'était un peu intéressé. Parce qu'il trouvait que c'était un peu souvent revenu, la corvée. Alors il s'en était débarrassé tout en faisant plaisir au bambin. D'une pierre deux coups. Aldon Juan n'était-il pas spécialiste des coups à répétition ?
Le lendemain, il prit un jour de congé. Avant de partir, Marilène avait laissé ses consignes - Oui-oui, t'inquiète pas, lui avait-il assuré, mais il n'avait pas pris un jour de congé pour ça. Il attendait la visite d'Erika. Il appela l'agence de placement pour demander une nouvelle nounou. Et zut, c'était encore Karelle. - NON FALLAIT PAS ! -Je croyais que Marilène l'avait virée celle-là, ils vont m'entendre à l'agence de placement. C'est vraiment du n'importe quoi, et Erika qui doit arriver d'un moment à l'autre. Sur le coup de 15 heures, Aldon Juan avait le cafard. Toute la journée, il avait attendu Erika s'occupant au téléphone et évitant de croiser Karelle qui le poursuivait dans toutes les pièces. Il fallait se faire une raison, Erika l'avait oublié. Hé-non ! Il avait eu tort de désespérer, Erika arriva pile-poil synchro avec le bus scolaire et la voiture de fonction de Marilène. -Excuse-moi Aldon Juan, j'ai dû remplacer une collègue au pied levé. T'es toujours partant pour le rendez-vous ? - NAAANNN je veux pas dire bonjour à la dame ! 80,25 pts - C'est vrai qu'elle est spéciale ta fille, approuva Erika Sitôt descendu de voiture, Aldon Juan s'acquitta d'une formalité : Le baiser langoureux de la mort qui tue. Nan-nan-nan, il ne l'avait pas oublié, faut pas rêver ! 81,25 pts
-Tu sais où sont les toilettes, ici, toi Aldon ? - Suis-moi poulette, je connais l'endroit comme ma poche, après, si tu veux, on ira se faire une petite photo romantique au photomaton - Vrai ? J'adore me faire tirer le portrait. A défaut de portrait... Score : 82,25 pts Après le tirage, y avait pas photo : Erika était emballée. Aldon Juan put procéder à ses petites emplettes perso. Il renouvela le stock d'eau de toilette et la garde-robe des gamins. Il en profita pour fouiller dans le rayon des sous-vêtements et dénicha un slip sexy. Enfin, sexy... A vous de juger. Score : 83,25 pts Erika c'était pas Ariane. Après la séance dans la cabine, elle en redemandait encore. Quand il débarqua à la maison, Jehanne s'apprêtait à souffler les bougies. Décidément, Marilène lui cédait trop. Il fallait qu'il mette les pieds dans le plat - Je n'en attendais pas moins de toi "papa". Elle avait mis dans son "papa" tant de mépris, qu'il le reçut comme un crachat. Pas le temps de se ressaisir, Romain grandissait à son tour. Il faillit mourir d'une crise cardiaque en découvrant qu'il avait des pattes d'ours en guise de pieds. Fallait s'y attendre, Romain présentait la même tare congénitale. Et encore fallait pas trop se plaindre, seuls les membres inférieurs étaient atteints. Aldon Juan était assis : Deux gamins; deux monstres ! Nan-nan-nan, on ne lui ferait jamais avaler qu'il était le père de ces machins. Il chercha dans ses souvenirs... mais non, il n'y avait jamais eu d'ours brun dans la famille. Pas dans son côté, en tous cas. Du moins, pas à sa connaissance. - Pourquoi, tu dis rien papa ? Il s'apprêtait à dire tout le bien qu'il pensait de ces chaussons de malheur, quand il entendit Jehanne Trop préoccupé par les pieds de ses supposés fils, Aldon ne s'était pas attardé sur la personne de Jehanne. Il n'en attendait rien de bien, de toute façon. Aussi fut-il surpris de découvrir qu'en tant qu'ado, -sans casser trois pattes à un canard-, elle n'était pas trop vilaine. Bien sûr, il y avait toujours ce nez, qui chez un homme était plutôt bon signe, mais dépareillait dans un visage de toute jeune fille. A côté de ça, elle avait bien hérité de son regard magnétique et Aldon Juan estima que, si elle savait jouer de la prunelle, elle aurait pourrait peut-être faire oublier la grosseur de son appendice nasal. Mais Jehanne espérait de lui un mot tendre, un compliment - Ah-non, reviens ! Tu ne m'as pas répondu : Comment tu me trouves ? - Ben... heu, je ne sais pas trop quoi te dire Jehanne. Y a mieux, y a pire... tiens si tu prends Sonia Gaillard, à côté d'elle tu es une reine de beauté. Elle eut vite fait de traduire - Tu veux dire que je te déçois ! Tu veux dire que tu me trouves laide ! Tu penses que je ne serai pas capable de plaîre ? Et toi, le séducteur à la manque, tu te crois beau ? Tu te crois malin ? QUATRE FOIS tu t'es fait prendre en flagrant délit, bon à rien ! QUATRE FOIS tu as brisé le coeur d'une femme et de maman en particulier. N'importe qui aurait fait mieux. - Là, je t'arrête tout de suite, Jehanne, ça reste encore à prouver, tenta d'argumenter Aldon Elle sortit comme une furie. Aldon tenta de la retenir -JEHANNE !! Où crois-tu aller comme ça ? - C'est pas que je crois, c'est que je vais ! Je prends la voiture et je drague en ville, comme toi "papa". Si tu comptais sortir ce soir, tu repasseras. J'ai droit à mon cadeau d'anniversaire aussi. J'ai le droit qu'on me dise qu'on me trouve belle, j'ai le droit à l'amour moi aussi. Ces derniers mots, moururent dans un sanglot.
-Tu t'occupes des jumeaux, ce soir c'est leur anniversaire, arrange-toi pour qu'ils grandissent bien
- Tu as trouvé mon petit cadeau Aldon ? s'enquit-elle, le dévorant d'un regard gourmand
- Le soliflore avec la rose ? Fallait pas, Karelle, fallait pas
- Oh si, Aldon, ça méritait bien ça
- Et comment donc, plus que jamais ! Mais, je préfèrerais que ça se passe ailleurs. Ma fille est un peu perturbée, en ce moment elle pleurniche pour un rien. Hein, Jehanne ? Dis bonjour à la dame.
-Tu vois ce que je t'avais dit, elle est spéciale. Ca doit être la puberté qui la travaille. Et toi, Jehanne, cesse de pigner, ça ressemble à quoi ?
Score : - 0,25 :
- M'en parle pas, c'est l'horreur ! C'est à cause de Marilène, elle lui cède tout. S'il n'y avait que moi, une bonne taloche, et elle saurait pourquoi pourquoi elle pleure. Mais on est pas là pour parler de Jehanne, n'est ce pas poulette ? Allez, je t'emmène aux boutiques du coin, tu verras, c'est assez sympa.
Erika fit la moue
- J'avais pensé que tu m'emmènerais au restaurant, Aldon Juan, j'aimerais tellement aller au resto avec toi
- Ben-non, là tu vois, j'ai prévu de faire des emplettes. Les bambins vont fêter leur anniversaire, faut que je fasse le plein de vêtements. D'ici qu'ils se retrouvent affublés en crocodile ou en requin marteau...
Score :
Oh, qu'elle était bien Erika ! Si seulement elles étaient toutes comme elle !
- On va où maintenant Aldon Juan ? T'en connais d'autres des coins comme ça ?
- Ah nan-nan-nan, on va nulle part. Je t'ai dit que c'était l'anniversaire des jumeaux, faut que je rentre chez moi, sinon, je vais me faire appeler Marcel.
- Ooooh Aldon, c'était si bon, je me serais crue au paradis. On remettra ça, hein ? Promets-moi qu'on remettra ça.
Il sortit sa stratégie de repli
- Quand tu veux, Erika, quand tu veux. Dès que j'ai un moment, je te fais signe.
- Rha, Jehanne, tu es assez grande pour comprendre que c'est l'anniversaire des jumeaux, pas le tien ! Attends ton anniversaire, tu en auras aussi des bougies
- C'est peut-être l'anniversaire des jumeaux, mais c'est celui de Jehanne aussi. Tu l'avais oublié, Aldon ?
C'était quoi, cet accent triomphant qu'elle avait mis dans sa question ?
- Quoi ? c'est déjà l'anniversaire de Jehanne ? Pourquoi tu ne m'as rien dit, Marilène ? Tu m'excuseras, je ne t'ai pas rapporté de cadeau, dit-il en se tournant vers sa fille
Brrr, Aldon Juan en eut des frissons dans le dos. Ils allaient l'appeler papa, avec tendresse, certes, mais papa quand même.
- Tu les trouves pas beaux nos chaussons de nounours, dis papa ? C'est ça ? Tu les trouves pas beaux ?
Des quoi ? Qu'est ce qu'il disait le monstre ? Des chau-ssons ! Mais ça va pas de nous faire des frayeurs pareilles !
- Et moi, tu me trouves comment, "papa" ?
A ce moment là, le téléphone sonna et il se précipita pour répondre.
Allez savoir pourquoi, c'était pas le genre de compliment qu'elle attendait.
- C'est tout prouvé ! N'importe qui ! Tiens, moi ! moi ! moi ! Aussi vrai que je m'appelle Jehanne, je ferai mieux que toi !
- J'ai le droit à l'amour aussi, répéta-t-elle dans la voiture, essuyant d'un geste rageur les larmes qui coulaient sur ses joues.